Grève ou mobilisation de rentrée ?
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Chaque année après les vacances d’été, la CGT a une tradition : la grève-de-rentrée. En général, la date est fixée entre fin septembre et début octobre. Elle est parfois connue avant le début des congés de juillet. Mais elle peut être annoncée fin août, lorsque les organisations du CCN (le Comité confédéral national, qui rassemble les fédérations et les Unions départementales), se réunissent.
C’est le cas cette année. Fin août, la CGT annonce une journée de mobilisation interprofessionnelle avec appel à la grève pour le 1er octobre. Alors même qu’une journée de grève est déjà prévue dans l’Éducation nationale en septembre, appelée notamment par la CGT du secteur ; qu’une date était déjà prévue à la même période par les organisations syndicales de retraité·es ; et que la fédération CGT de la métallurgie est déjà en construction d’une mobilisation à l’échelle nationale avec la volonté de monter massivement au salon de l’Automobile le 17 octobre.
Et le résultat attendu s’est réalisé. Autour de 170 000 manifestants·es, selon la CGT : c’est un échec. Quels ont été les impacts en termes de grèves sur les lieux de travail ? Il n’y a pas de chiffres officiels, mais il est évident que la grève n’a eu aucune réalité à l’échelle interprofessionnelle.
Et pour la grève de rentrée de 2023 ? Vous vous en souvenez ? Elle a eu lieu le 13 octobre, et selon la CGT elle avait rassemblé 200 000 manifestant·es – la grève de la rentrée 2024 a donc été à l’image de celle de l’année 2023.
À quoi ça sert ?
Ce type de mobilisation-grève-de-rentrée est le type même de la grève presse-bouton, du fait des conditions dans lesquelles elle est préparée, et à la date à laquelle elle est annoncée. En quoi est-elle un outil de construction du rapport de force ? En quoi est-elle mobilisatrice, dans les conditions où elle se prépare ? Poser ces questions, c’est y répondre. D’ailleurs la direction de la CGT répète à l’envie, et fort justement, que l’on n’appelle pas à la « grève générale » en appuyant sur un bouton… vérité qui vaut tout autant pour une journée de grève interprofessionnelle.
Dans une interview récente, le sociologue Baptiste Giraud, auteur du livre Réapprendre à faire grève [1], défend l’intérêt des mobilisations de rentrée : « D’abord, créer un événement médiatique et politique. Le 1er octobre, malgré tout, on en parle. Les syndicats font exister leurs revendications dans l’espace médiatique et politique : la question salariale, celle du travail de manière plus large. Ce n’est pas rien dans la période ».
Appeler à faire grève, si cela a un sens, ne peut avoir comme objectif d’exister dans l’espace médiatique et politique. Appeler à faire grève, au niveau interprofessionnel, ce ne peut pas être que pour rejoindre une manifestation dans une commune où elle s’organise.
Appeler à faire grève, c’est créer les conditions pour avoir un vrai impact en termes d’arrêts de travail. Que les grévistes, du moins une partie non négligeable, se mobilisent. Pas forcément en manifestant, mais au moins par la présence sur un piquet. Le patronat, public et privé, doit constater qu’il s’est vraiment passé quelque chose.
Les conditions de la réussite
En prenant la responsabilité d’appeler à une grève au niveau interprofessionnel, les organisations syndicales concernées se doivent de construire les conditions de sa réussite. Ces conditions sont nombreuses, différentes d’une grève au niveau d’une entreprise ou d’une branche. Et parmi toutes ces conditions, plusieurs ne dépendent pas des organisations syndicales.
Celles-ci se doivent donc de travailler sur les aspects qui les concernent directement, sur lesquels elles ont prise. Et en fixant la date un mois avant, et après avoir connu une défaite importante l’année passée sur les retraites, elles se sont placées de fait en situation d’échec pour le 1er octobre.
Voilà enfoncées des portes ouvertes. Mais pourquoi cela recommence chaque année ? Cette question est dans la tête d’un nombre non négligeable de syndicalistes, chaque année en octobre. Mais on préfère ne pas le dire, ou se cacher derrière la « tradition », pour ne pas passer pour un·e défaitiste, voire pire : un·e cfdtiste ! Alors j’ose dire ici que j’approuve Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, lorsqu’elle déclare que ce n’est pas parce qu’il y a une rentrée, qu’il doit y avoir une grève de rentrée.
La contradiction réelle à dépasser
La conclusion n’est pas qu’une grève interprofessionnelle d’une journée est inutile. Au contraire. Elle peut, elle doit être l’occasion d’un débat primordial sur la stratégie de la grève au niveau interpro, articulée avec les luttes et grèves organisées par les fédérations professionnelles. On a beau se répéter qu’il n’y a pas opposition entre ces deux niveaux, c’est plus facile à dire qu’à faire. Aujourd’hui, la réalité est bien qu’il y a d’un côté la priorité des fédérations sur les enjeux dans leurs branches, et de l’autre côté des décisions de grève interprofessionnelle, auxquelles elles participent, mais qui ne sont pas véritablement intégrées dans leurs propres stratégies.
C’est une contradiction réelle, inutile de la cacher par de grandes déclarations creuses. Et face à une contradiction réelle, et bien le devoir des équipes militantes, à tous les niveaux, est d’en débattre pour trouver des solutions qui permettent de dépasser cette contradiction, à un moment donné. Pour créer justement les conditions d’une grève interprofessionnelle réussie. Et en sachant que la contradiction réapparaîtra. Parce que les réalités sociales et politiques évoluent. Il faudra alors trouver une autre solution, par le débat encore. Donc on prenant le temps nécessaire.
Cette contradiction est d’autant plus prégnante qu’elle est aussi liée aux structures des organisations syndicales de lutte. La réalité est que le lien entre structures interpros et structures professionnelles sont trop lâches, pas assez intégrées dans leurs pratiques et leurs fonctionnement quotidien. Ce qui rend les conditions d’une grève interpro réussie d’autant plus difficilement accessibles.
Cette question de l’articulation interpro/professionnel fait donc aussi partie de la question de l’organisation interne de la CGT et de Solidaires.
Une grève interprofessionnelle, ce n’est pas avant tout un moyen de rassembler des salarié·es à une manifestation dans une commune, de compter les manifestant·es et d’envoyer le résultat à la direction syndicale. Pour ensuite afficher sur le site Internet le nombre de manifestations et de participant·es, et qui fera l’objet d’un communiqué de presse qui, imparablement, sera tourné de telle sorte que l’on conclut à une victoire !
Une grève, y compris donc interprofessionnelle, c’est d’abord ce que cela veut tout simplement dire : que le travail s’arrête, et cela le plus massivement possible.
Et donc, tradition ou pas, dès lors qu’on se place du point de vue de la grève réellement existente, il n’y a pas eu de grève de rentrée ce 1er octobre.